LA FORMATION CONTINUE DES AVOCATS
INTRODUCTION
Dans
leur ouvrage intitulé ‘’ Règles de la Profession d’Avocat’’, 14 édition,
Dalloz, 2014, P.31, Henri ADER ET André DAMIEN, écrivent au sujet de l’histoire
du Barreau que « au lendemain de la guerre de 1914 – 1918 une mutation se
marque au Barreau. Une mutation qui n’est d’ailleurs pas terminée. Elle est due
à plusieurs facteurs ; d’une part l’hécatombe humaine effroyable qui
entraine des désordres moraux et économiques sans précédent dans la Société
Française, notamment ; d’autre part les bouleversements techniques des
deux guerres :
-
Une civilisation de modération
s’effondre brusquement et laisse apercevoir l’industrialisation et le
machinisme galopant. La civilisation de l’automobile, du téléphone, de la
rapidité apparente, du télégramme, commence à faire des ravages et, en même
temps, la stabilité des fortunes s’effondre dans des crises économiques et
monétaires. Le professionnel libéral exerce désormais un métier, la dureté de
la vie rend inexorable l’aspect financier de son ministère et la décadence des
fortunes entraîne des exigences économiques nouvelles.
Sans
doute la perspective de construire une société mondialisée sera-t-elle encore
pendant longtemps une force consommatrice de services juridiques.
Mais
faudra-t-il des avocats pour les fournir ? Comme pour tous les secteurs
d’activité, et à peu près tous les aspects de l’existence, les nouvelles
technologies de l’’information affectent la production et la consommation des
services juridiques sous divers angles, et il faut les envisager à la fois pour
en mesurer l’impact sur la profession d’avocat telle qu’elle existe et pour en
examiner ses chances de perdurer dans ce nouveau contexte où se profilerait un
marché du droit sans avocats !
Richard Susskind, dans son ouvrage, the end of
lawyers? Rethinking the nature of legal services oxford,
oxford unversity press, 2è éd., 2010, P.269 pré disait que ‘’ les avocats qui ne sont pas enclins à changer leurs pratiques de travail et à
étendre l’éventail de leurs services devront mener dans la prochaine décennie
une âpre lutte pour leur survie’’.
En
effet, le marché des services juridiques connait une transformation majeure (
l’ avocature sur internet), en passant d’un marché de l’offre , assis sur une
position stable et sur la notabilité réelle ou supposée de ses acteurs, à un
marché gouverné par la demande, inspiré par les logiques d’achat à moindre
coût. Grâce ou à cause de la technologie, ce phénomène s’est accru
considérablement, et il devra encore s’accroître avec pour conséquence de
réduire ou même d’anéantir la distance et l’asymétrie existant entre le
demandeur du droit et de justice et celui qui peut y pouvoir.
Or,
on le sait, comme pour toute activité potentielle, c’est la distance et
l’asymétrie qui sont à la source de l’activité de l’avocat : il se pose en
intermédiaire obligé entre le public et le droit. Dès lors qu’il devient
possible d’accéder sans intermédiaire à la connaissance voire à la technicité
du droit applicable, sa fonction s’efface au point de s’évanouir.
Résilience
de l’oralité, le statut de la connaissance s’en trouve altéré, passant d’un
savoir hermétique, requérant ascèse instruction et expérience à un objet
immédiat aussi accessible que n’importe quelle marchandise informative.
L’économisme oblitère une attribution séculaire de l’Avocat, sa tâche sociétale
de contribution à la justice et au bien public, dès par le lien personnel qu’il
établit avec son client qui lui, choisit, tel avocat en qui il place sa
confiance.
Des
dispositifs à n’en point citer inondent
le marché : ODR (online dispute résolution), ADR (alter native
dispute résolution), MARD, MARL, MARC (Modes amiables de règlement des
différends, litiges ou des conflits).
L’adhésion
de la RDC à l’OHADA dont elle constitue
le 17 Etat a apporté également un lot de bouleversements du confort de
l’avocat, habitué à son droit napoléonien ou issu des décrets du roi souverain
et autres arrêtés datant de l’ époque ante ou coloniale.
Ces
actes uniformes qui n’ont de cesse d’être révisés priveraient du sommeil des
avocats qui le découvrent à l’occasion du litige, chacun s’adonnant, à cœur
joie, à l’interpréter, si les Juges n’en rajoutent pas de leur partition.
Ballottée entre les forces du marché et
l’héritage de son passé, la profession d’avocat semble se trouver, comme
partout ailleurs, à la croisée des chemins.
La réponse à ces
nombreux défis d’adaptation sans
cesse aux mutations du droit et de notre monde passe par la formation
initiale et continue, seule clé de sésame.
Quel
est le dispositif légal et règlementaire dans notre droit en matière de
formation (I) et quelles perspectives qui s’offrent à la profession (II), tels
sont les deux points essentiels de ma présentation.
I. LA FORMATION CONTINUE DES
AVOCATS : Etat de la question
Deux
articles (8 et 16) de la loi organique du Barreau renvoient à la formation
initiale de l’avocat en ces termes : ‘’ (…) avant son inscription au
tableau, l’avocat reçoit une formation professionnelle au cours d’un stage
organisé (…)’’ ‘’ (…), le stage a pour
but d’assurer la formation professionnelle. Il comporte la participation à des
travaux et conférences organisés par le conseil de l’ordre, à la fréquentation
des audiences et l’accomplissement des travaux effectifs inhérents à la
profession sous le contrôle du maître de stage.
L’article
43 de la loi organique pré rappelée confie au Conseil de l’Ordre comme
attributions notamment de veiller tout particulièrement à la formation des
stagiaires. La décision CNO/4/87 du 09 Mai 1987 relative à l’enseignement des
règles de formation professionnelle et déontologique à l’intention de tous les
jeunes avocats participe de ce dispositif.
Le
RIC lui, réserve, quasiment en queue du texte, quelques dispositions (art. 81,
84 et 85), encore une fois relèvent plus du stage que de la formation continue.
Il convient de mentionner les dispositions de l’article 96, quoique au chapitre
de bibliothèques, qui permet d’inférer l’obligation pour l’avocat de subir en
permanence une formation.
Il
se dégage de ceci un vide incompréhensible dans le dispositif, qu’il convient
de combler.
II. PERSPECTIVES ET PROPOSITIONS DE
REFORME
Comme
l’on peut s’en rendre compte, la formation continue assure la mise à jour et le
perfectionnement des connaissances nécessaires à l’exercice de sa profession
pour l’avocat inscrit au Tableau de l’Ordre.
Une
telle obligation de formation continue est satisfaite notamment :
1)
Par
la participation à des actions de formation, à caractère juridique ou
professionnel, dispensée par des centres de formation professionnelle agrées ou
les établissements universitaires ;
2)
Par
la participation à des formations dispensées par des avocats ou d’autres
établissements d’enseignement ;
3)
Par
l’assistance à des colloques ou à des conférences à caractère juridique ayant
un lien avec l’activité professionnelle des avocats ;
4)
Par
la dispense d’enseignements à caractère juridique ayant un lien avec l’activité
professionnelle des avocats, dans un cadre universitaire ou
professionnel ;
5)
Par
la publication de travaux à caractère juridique.
Il
suit dès lors qu’il convient de lege ferenda de rendre obligatoire la formation
continue, quitte à ce que le CNO détermine la nature et la durée des activités
susceptibles d’être validées au titre de l’obligation de formation continue et
les barreaux de déterminer les modalités selon lesquelles elle s’accomplit.
A
cet égard, la loi française n°71-1130, du 31 décembre 1971 sur l’exercice de la
profession d’avocat, la décision à caractère normatif n° 2011-004 du 24
Novembre 2011 du Conseil National des Barreaux de France, de même que le Texte
coordonné du code de déontologie de l’avocat (CODEON) et du Règlement
Déontologique Bruxellois (RDB) mis à jour au 01.09.2015 pourraient se révéler
particulièrement utiles à consulter.
Il
sied de signaler que l’article 29 du Règlement n° 05/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation
des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA du 25 Septembre
2014, entré en vigueur le 1èr janvier 2015 dispose : ‘’ la
formation professionnelle initiale et continue est obligatoire pour tout avocat
inscrit dans un Barreau de l’espace UEMOA, suivant les conditions et modalités
définies dans un acte pris en application du présent Règlement et les
règlements intérieurs des différents barreaux ‘’.
Cette
obligation de formation continue devrait être renforcée par l’obligation de
déclaration (par l’avocat) et de contrôle ( par le conseil de l’ordre),
l’homologation des actions ou des établissements de formation par le CNO et la
reconnaissance mutuelle des heures de formation continue d’autres Etats suivant
une procédure et un référencement préétablis.
CONCLUSION
A
n’en point douter, la formation continue de l’avocat est à la fois un défi à
relever et un impératif catégorique dans le contexte actuel d’exercice de la
profession d’avocat caractérisé par une concurrence âpre, impitoyable,
voire déloyale ainsi qu’à la révolution numérique.
C’est
par elle que la profession toute entière doit passer pour adopter le format le
plus adapté aux enjeux d’aujourd’hui et de demain notamment une offre à même de
répondre à la demande de droit de plus en plus forte, exigeante et quasi
universelle.
La
confiance du public à l’avocat reste tributaire de sa capacité à répondre avec
compétence et diligence aux problèmes que le client rencontre.
Fait à Kananga, le 22/03/2016